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Que disent les Cours et Tribunaux ?

La jurisprudence importante en la matière est examinée ci-dessous.

Dernière mise à jour le 24 janvier 2024

Cour de cassation, 20 mai 2019

L’affaire porte sur la régularité du licenciement pour motif grave d’un travailleur. L’employeur a établi ce licenciement en produisant un échange de courriers électroniques entre le travailleur et une relation professionnelle dont le contenu était exclusivement professionnel. Ces courriels avaient été envoyés et reçus via le matériel informatique de l’employeur et mis à la disposition du travailleur pour un usage professionnel. La Cour du travail de Bruxelles a considéré que l’employeur n’était pas tenu de recueillir le consentement du travailleur pour accéder à la messagerie électronique du travailleur.

Tenant compte de ces éléments, la Cour du travail de Bruxelles avait considéré que l’employeur n’était pas tenu de recueillir le consentement du travailleur pour accéder à sa messagerie électronique. Elle en avait déduit que la preuve du motif grave avait été régulièrement obtenue par l’employeur. Le travailleur contestant son licenciement pour motif grave, il a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles.

La Cour de cassation a examiné la régularité de la collecte des preuves versées aux débats par l’employeur au regard de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques. L’article 124 de la loi interdit de prendre connaissance, de manière délibérée, d’un courrier électronique sans avoir obtenu, préalablement, le consentement de toutes les personnes directement ou indirectement concernées. Cette disposition est d’ordre public.

La Cour de cassation a considéré que l’exigence du consentement préalable du travailleur, vaut tant pour les courriels privés que professionnels, peu importe le contenu du courrier électronique ou le matériel utilisé pour la transmission.

La Cour a constaté que l’employeur avait pris connaissance des courriers électroniques sans recueillir le consentement du travailleur au préalable. La Cour a, par conséquent, cassé l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles.

L’employeur doit donc veiller à recueillir le consentement du travailleur et ce, en toute hypothèse, en vue de la prise de connaissance des courriers électroniques.

Le consentement du travailleur doit être éclairé et individuel, et doit faire l’objet d’un avenant au contrat de travail ou d’un autre document signé par le travailleur. Cela signifie que la mention du contrôle des communications électroniques dans le règlement de travail ou tout autre document ne suffit pas.

Cour du travail de Bruxelles, 8 février 2019

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles a admis qu’une preuve obtenue en violation du droit au respect de la vie privée puisse tout de même être utilisée pour prouver un motif grave.

Une travailleuse a été licenciée pour motif grave pour avoir envoyé certaines informations sensibles concernant l’entreprise où elle travaillait par e-mail à son époux. Celui-ci était le gérant d’une entreprise concurrente de l’employeur de sa femme.

Le 22 avril 2015, l’employeur de la femme avait remis une note aux travailleurs concernant l’utilisation correcte des technologies en ligne. Le 8 mai 2015, il a remis une deuxième note aux travailleurs dans laquelle il expliquait l’organisation du contrôle de l’utilisation de l’e-mail.

C’est sur la base de ces notes que l’entreprise a contrôlé les e-mails des travailleurs les 11 et 12 mai 2015. Le contrôle a révélé que la travailleuse avait envoyé des informations sensibles concernant l’entreprise à l’adresse e-mail de son époux.

Sur base de cela, la travailleuse a été licenciée pour motif grave le 12 mai 2015. Le licenciement a été motivé le 15 mai 2015.

La travailleuse conteste que l’employeur puisse prouver le licenciement pour motif grave sur la base des e-mails. Elle estime en effet que ces e-mails ont été obtenus en violation de la CCT n° 81.

La Cour du travail ne partage pas ce point de vue. La Cour considère que la CCT n° 81 ne porte pas sur le contrôle du contenu des e-mails reçus ou envoyés par un travailleur via l’ordinateur de l’entreprise. La Cour estime toutefois que le droit à la protection de la vie privée, tel qu’il est consacré par l’article 8 de la CEDH et la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, pourrait avoir été violé.

Après examen, la Cour du travail a jugé que les informations dans cette affaire avaient effectivement été obtenues d’une manière qui n’était pas conforme à cet article.

Selon la Cour du travail, les deux notes que l’entreprise a remises à ses travailleurs étaient en effet insuffisantes pour présumer que les travailleurs avaient consenti au contrôle de leurs e-mails. Ces documents avaient été rédigés unilatéralement par l’employeur et n’ont pas été signés par les travailleurs.

Bien que la Cour ait donc jugé que la preuve du motif grave avait été obtenue de manière illicite, elle a estimé que celle-ci pouvait être admise dans cette affaire.

La Cour renvoie à cet égard à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière pénale. Une preuve obtenue de manière illicite peut être utilisée s’il est satisfait aux conditions suivantes :

  • Le droit à un procès équitable n’est pas compromis 
  • La fiabilité de la preuve n’est pas affectée 
  • Aucune condition prescrite à peine de nullité n’est violée

La Cour du travail a jugé que l’infraction commise par la travailleuse, à savoir l’envoi d’informations sensibles à un concurrent de son employeur, pesait plus lourd dans la balance que l’infraction par laquelle l’employeur avait obtenu la preuve.

Après examen de la preuve, la Cour du travail a jugé que le licenciement pour motif grave était fondé et a dès lors rejeté le recours de la travailleuse

Cour du travail de Bruxelles, 22 février 2018

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’irrecevabilité des preuves irrégulièrement recueillies par le biais de la consultation d’emails d’un travailleur et la consultation d’éléments repris sur le compte bancaire privé du travailleur.

Il s’agissait d’un représentant de commerce en service chez son employeur depuis 2007. Au bout de 5 ans, un contrat différent du contrat initial lui est proposé. Ce nouveau contrat contient une clause de non-concurrence, une clause de loyauté et de respect du secret professionnel. Le travailleur refuse cette proposition.

Des difficultés surgissent dans les relations de travail. Cette situation aboutira à un licenciement pour motif grave. L’employeur a mandaté un huissier de justice qui a constaté via l’analyse d’emails professionnels qu’il y a eu des envois de coordonnées de clients à l’adresse mail privée du travailleur.

Le travailleur a immédiatement contesté ce licenciement.

La question qui se pose est le preuve des faits reprochés au travailleur. Il s’agit essentiellement des courriels. Le travailleur se fonde sur la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques et sur la CCT n° 81 relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard du contrôle des données de communications électroniques en réseau.

Concernant la loi du 13 juin 2005, la Cour, après avoir analysé les courriels en cause, conclut que le contrôle opéré sur les courriels entrants et sortants a été systématique et qu’il s’est étalé sur une période de 2 ans avant le licenciement et sans rapport de proportionnalité. La Cour conclut qu’il y a violation de l’article 124 de la loi du 13 juin 2005.

Quant à la CTT n° 81, la Cour constate la société n’a jamais informé de l’existence d’une boîte mail générale ayant pour but de contrôler les données des communications électroniques. La Cour constate que cette ingérence n’a pas été réduite à un minimum ainsi qu’imposé par l’article 6 de la CCT. La Cour précise que le fait que la messagerie était accessible sur une boite électronique commune ne suffit pas à dispenser l’employeur de fournir l’information requise par la CCT. Par conséquent, la Cour conclut qu’il y a violation de la CCT.

Enfin, concernant la consultation de l’extrait de compte, celle-ci est irrégulière.

Par conséquent, la Cour rejette les courriels transférés dans la boite mail privé du travailleur, le procès-verbal de l’huissier de justice et la copie de l’extrait de compte, il en découle que le congé pour motif grave n’est pas régulier.

Cour du travail de Bruxelles, 9 septembre 2016

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles a estimé qu'un licenciement pour motif grave n'était pas valable parce que le contrôle, par l'employeur, du contenu des mails du travailleur constituait une violation de son droit à la vie privée. La preuve ainsi obtenue ne pouvait donc pas être utilisée en droit.

Dans l'affaire qui a été portée devant la Cour, le travailleur avait averti l'employeur de son incapacité de travail et lui avait demandé d'assurer le suivi de 2 rendez-vous. A cette fin, l'employeur a ouvert la messagerie du travailleur. Il y a trouvé des mails d'ordre privé, les a lus, et a utilisé leur contenu pour licencier le travailleur pour motif grave.

Le Cour du travail a estimé que ceci constituait une violation de la vie privée du travailleur (article 8 du Traité européen des Droits de l'Homme), étant donné que le travailleur pouvait raisonnablement espérer que l'employeur ne prendrait pas connaissance de ses mails privés, même si ceux-ci se trouvaient sur l'ordinateur professionnel du travailleur.

La Cour a aussi jugé que l'employeur ne pouvait pas utiliser en droit une preuve obtenue illégalement, parce que l'infraction de l'employeur n'était pas proportionnelle à ce que ce dernier a constaté lors de son contrôle. Bien que l'employeur a découvert les messages privés par hasard, cela ne lui octroyait pas le droit d'en vérifier le contenu sans obtenir l'accord des parties concernées, ni de profiter de l'occasion pour consulter la messagerie du travailleur en vue d'y trouver d'autres mails privés et de prendre connaissance de leur contenu.

CEDH, 5 septembre 2017, Bărbulescu c. Roumanie

Dans son arrêt du 5 septembre 2017, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estime que le contrôle des e-mails et de la messagerie instantanée d’un travailleur est une violation de la vie privée de ce dernier[1].

Les faits se déroulent en Roumanie où un employeur avait demandé à son travailleur de créer un compte Yahoo Messenger afin de répondre aux questions de ses clients.

Pour ce faire, l’employeur avait prévu dans un règlement intérieur que les ressources de l'entreprise (dont les ordinateurs) ne pouvaient être utilisés qu'à des fins professionnelles. L’employeur a ensuite procédé au contrôle de ce compte et ce contrôle a révélé que le travailleur a utilisé ses mails pour des questions privées, notamment avec sa fiancée et son frère. Le travailleur a, dans un premier temps, nié cette utilisation privée.

C’est pour ces faits que l’employeur a décidé de licencier le travailleur pour infraction au règlement intérieur de la société qui interdisait l’usage des ressources de celle-ci à des fins personnelles.

Le travailleur a contesté la décision de son employeur devant les tribunaux, en alléguant que cette décision était entachée de nullité car son droit à la correspondance avait été violé suite à la consultation de ses communications.

Après que le travailleur ait été débouté tant devant le tribunal que la cour nationale, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait estimé que le fait qu’un employeur souhaite vérifier que ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles pendant les heures de travail n'était pas abusif. Elle a par ailleurs relevé que l’employeur a accédé au compte de son travailleur en pensant qu’il contenait des communications de ce dernier avec ses clients.

La Grande Chambre a révisé ce jugement et conclu, en date du 5 septembre 2017, qu’il est effectivement question de violation. Même si l’employeur est autorisé à contrôler si les travailleurs accomplissent leurs tâches de manière professionnelle et consciencieuse, ce type de contrôle peut  constituer une violation du droit au respect de la vie privée.

Il est dès lors important, lors de l’évaluation d’une éventuelle atteinte au droit à la vie privée, de prendre en compte l’intérêt économique de l’employeur, d’une part, et le droit à la vie privée du travailleur, d’autre part. À cet égard, il convient d’examiner différents aspects :

  • Le travailleur a-t-il été informé préalablement de la possibilité qu’a son employeur de contrôler ses communications ?
  • Sur quoi porte précisément le contrôle, sur tous les e-mails ou sur certains d’entre eux seulement ?
  • L’employeur a-t-il une raison suffisamment sérieuse pour légitimer ses actes ?
  • Existait-il une manière moins intrusive d’atteindre le même objectif ?
  • Les conséquences pour le travailleur et le résultat du contrôle sont-ils proportionnés à l’objectif poursuivi par l’employeur ?
  • Le droit du travailleur a-t-il été suffisamment protégé par rapport au type de mesure ?

Un employeur peut toujours, sous certaines conditions, contrôler les e-mails ou licencier un travailleur s’il ne se conforme pas aux règles internes, mais il doit respecter un juste équilibre entre les intérêts en jeu et les principes de la protection de la vie privée.

Cour du travail de Liège (div. Namur), 17 novembre 2015

En matière de contrôle du contenu des fichiers, l’arrêt du 17 novembre 2015 de la Cour du travail de Liège (div. Namur) a jugé que bien que "La vie privée peut également englober la sphère professionnelle[2]. Il existe en effet une zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la "vie privée"[3].

La vie privée n’est cependant protégée que pour autant que la personne en cause ait pu nourrir l’espérance que son droit à la protection s’appliquait à la situation rencontrée et que cette espérance puisse être considérée comme raisonnable eu égard aux faits de la cause et à l’état des mentalités[4].

L’absence d’identification comme ayant un caractère privé de fichiers détenus par un travailleur est ainsi un des critères d’appréciation de cette attente raisonnable[5], de même que leur dépôt sur le disque dur d’un ordinateur professionnel plutôt qu’à usage privé, et mis à disposition par l’employeur qui en est le propriétaire[6] ou encore le caractère strictement professionnel, plutôt qu’intime ou personnel, des documents en cause".

Dans les faits de la cause, un travailleur a été licencié pour motif grave après que son employeur ait découvert qu’il exerçait une activité concurrente à celle de la société. Cette découverte a été faite suite à la demande de l’employeur à son travailleur d’ouvrir et d’imprimer des fichiers de nature exclusivement professionnelle et stockés, sans indication d’un caractère privatif, sur le disque dur des ordinateurs qui étaient la propriété de cet employeur et mis à la disposition du travailleur. Cette demande a été effectuée en présence d’un huissier de justice et le travailleur y a accédé sans émettre de réserve ni être soumis à une quelconque contrainte.

Cour du travail de Bruxelles, 4 août 2016

Les mails que l'employeur voulait utiliser à l'encontre de son travailleur ont été considérés par la Cour comme une preuve obtenue illégalement étant donné que les dispositions de la CCT n° 81 et de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques sont applicables aux communications électroniques online. L'employeur avait eu accès à ces mails via l'historique du browser de l'ordinateur portable utilisé par le travailleur. Les documents trouvés sur le disque dur n'ont en revanche pas été considérés comme un moyen de preuve illégal parce qu'ils ont été" trouvés sur le disque dur d'un ordinateur ayant été mis à la disposition du travailleur par l'employeur.

La Cour du travail de Bruxelles a dû se prononcer, ici, sur une affaire dans laquelle le travailleur avait par ailleurs été licencié pour motif grave quand son employeur s'est rendu compte qu'il exerçait une activité concurrente dans une autre société. Après qu'un document suspect avait été trouvé sur l'imprimante,  il a été demandé au travailleur, en présence d'un huissier de justice, de remettre l'ordinateur portable qui avait été mis à sa disposition par l'employeur afin que le disque dur de celui-ci puisse être copié.

Cour du travail de Bruxelles, 12 juin 2015

Dans son arrêt, la Cour du travail de Bruxelles effectue une distinction entre les moyens de preuve abusifs et les moyens de preuve obtenus de manière abusive. Tandis que les moyens de preuve abusifs devront toujours être écartés des débats, les moyens de preuve obtenu de manière abusive pourront se voir appliquer le test Antigone.

Il ressort dès lors de l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles que des courriers obtenus en violation de la vie privée, sont des moyens de preuve abusifs et ne peuvent être utilisés comme moyens de preuve.

Les faits de la cause concernent notamment l’utilisation au titre de moyen de preuve d’un e-mail expédié à l’adresse mail privée d’un travailleur. Vu les incertitudes qui entourent la façon dont ce mail a été mis à la disposition de l’employeur, la Cour refuse de le prendre en compte.

Cour du Travail de Bruxelles, 7 février 2013

Les faits soumis à la Cour concernaient un représentant du personnel au conseil d'entreprise licencié pour motif grave sur la base de plusieurs éléments : exercice d'une activité parallèle pendant les heures de travail, utilisation des outils informatiques et de son adresse mail professionnelle pour l'exercice de cette activité, violation du caractère confidentiel des informations reçues dans le cadre de sa mission de représentant au conseil d'entreprise. Pour prouver ces faits, l'employeur s'était basé sur une série de mails découverts par un collègue du représentant du personnel pendant l'absence de celui-ci pour cause de maladie.

En première instance, le tribunal du travail a estimé que ces mails ne pouvaient pas être utilisés comme preuve à l'appui du motif grave. La Cour a suivi ce raisonnement.

En effet, la Cour a jugé que l'employeur n'avait pas respecté le droit du travailleur au respect de sa vie privée. Elle est d'avis qu'il peut uniquement être tenu compte des mails que leur destinataire a permis de consulter (ce qui n'était pas le cas en l'espèce) ou découverts de manière tout à fait fortuite (ce qui n'était pas plus le cas, les mails n'ayant pas de caractère professionnel et ne pouvant être considérés comme urgents parce qu'ils étaient classés dans les 'sent items').

La Cour en a conclu que la preuve du motif grave avait été obtenue de manière illicite. Elle est donc irrecevable.

Cet arrêt est intéressant au regard de la jurisprudence récente de la Cour de Cassation[7], qui a jugé dans plusieurs affaires que la preuve obtenue de manière illicite pouvait être prise en compte pour autant qu'il n'y ait pas de violation d'une formalité prescrite à peine de nullité ou du droit à un procès équitable.

La Cour du Travail de Bruxelles n'a pas voulu appliquer cette jurisprudence en matière de droit du travail.

Cour du Travail de Bruxelles, 28 mars 2012

Les faits soumis à la Cour concernaient une employée qui avait été licenciée pour motif grave, suite à la découverte "fortuite" par son employeur (dans la boîte mail professionnelle de l’intéressée) d’e-mails privés contenant des propos racistes et injurieux envers des collègues et supérieurs.

Dans cette affaire, la Cour a estimé que la preuve recueillie (consistant dans la production des e-mails injurieux) était illicite. En effet selon la Cour, la découverte de ces e-mails par l’employeur avait été tout à fait fortuite et la consultation de ces e-mails n’avait été commandée par aucun soupçon ni autre motif sérieux. Pour la Cour, les e-mails étaient identifiables tant en ce qui concernait l’expéditeur que le destinataire et le responsable qui avait consulté ceux-ci devait manifestement savoir que ceux-ci ne lui étaient pas destinés. Par conséquent, il s’agissait d’une intrusion inacceptable dans la vie privée de l’employée, hors de proportion avec la gravité des faits reprochés.

Cour du Travail de Liège, 22 octobre 2010

La Cour du travail de Liège a donné raison à l’employeur qui avait licencié un travailleur pour motif grave parce que ce dernier (responsable de la sécurité dans un aéroport) passait son temps à regarder la télévision sur les moniteurs de surveillance (son outil de travail) et à jouer à des jeux sur ordinateur. La Cour a en effet estimé qu’un tel comportement aurait pu mettre en péril la poursuite de l’activité de l’entreprise.

Cour du Travail de Bruxelles, 13 novembre 2009

Il s’agit ici d’un contrôle exercé par un employeur sur le contenu des sms envoyés par un de ses travailleurs. Il n’y a pas encore beaucoup de jurisprudence à cet égard mais les décisions les plus récentes vont dans le même sens que celles qui concernent le contrôle des données électroniques.

Dans son arrêt du 13 novembre 2009, la Cour a ainsi décidé que le droit à la protection de la vie privée n’était pas un droit absolu et qu’en l’espèce, la gravité des injures justifiait que l’employeur puisse contrôler le contenu des sms envoyés par son travailleur.

Cour du travail d’Anvers, 9 septembre 2008

La Cour d’appel d’Anvers a donné gain de cause à l’employeur qui avait licencié son travailleur pour faute grave parce que celui-ci avait utilisé abusivement le net à des fins privées pendant les heures de travail.

Dans son arrêt, la Cour a considéré que le contrôle opéré par l'employeur était proportionnel et que celui-ci était en droit de retracer le travailleur à l'origine des anomalies étant donné les circonstances suivantes:

  • Lors du contrôle anonyme opéré dans un premier temps par l'employeur, celui-ci a constaté qu'un travailleur avait eu un usage particulièrement bas du nouveau firewall installé. Il n'était pas déraisonnable pour lui de procéder à l'individualisation de ce travailleur 
  • Lorsqu'il a constaté que le travailleur concerné occupait un poste dans le cadre duquel il devait normalement régulièrement avoir accès à internet (il s'agissait en effet du manager ICT), il était normal que, soupçonnant des abus, l'employeur poursuive ses recherches ;
  • Dans le cadre de celles-ci, l'employeur a découvert que le travailleur s'était connecté à internet via un ancien "firewall" moins sécurisé. Le bon fonctionnement du réseau informatique était par conséquent menacé ;
  • Le règlement interne de l'entreprise, qui disposait qu'un usage internet à des fins privées était interdit pendant les heures de travail, avait été bafoué. En effet, le travailleur avait pendant deux jours surfé sur le net à des fins presqu'exclusivement privées, "chatté" et envoyé des mails privés.

A l'objection que l'employeur n'était pas en droit, dans le cadre de son contrôle individualisé, de consulter le contenu des données collectées relatives au travailleur licencié, la Cour a répondu qu'il n'était en pratique pas possible, dans le cadre d'un contrôle individualisé, de ne pas avoir accès à ce contenu.

Etant donné les diverses circonstances de la cause, notamment l'usage abusif que le travailleur avait fait de l'internet et du mail pendant les heures de travail[8] et la circonstance qu'il avait voulu se soustraire à un éventuel contrôle en accédant au net via l'ancien "firewall", la Cour a estimé que la confiance de l'employeur était définitivement rompue par la faute du travailleur.  Elle a donc accepté le licenciement pour motif grave.

Cour du travail de Bruxelles, 28 novembre 2006

Au cours d’un contrôle de routine du serveur de l’employeur, des images à caractère érotique ou pornographique, composant des sites Internet complets ont été découvertes dans le fichier d’un travailleur (A). Ce dernier était l’auteur des sites Internet en question.

Suite à cette découverte, un autre travailleur (B) a explicitement reconnu être personnellement impliqué dans l’activité d’un site en particulier, en association avec son collègue (A). L’employeur a par ailleurs découvert que ce travailleur B était le contact administratif et technique pour le site. L’employeur en déduit que le travailleur B exerce, contre rémunération, une activité qui consiste au moins à administrer et à gérer techniquement un site Internet dont l’objet est l’offre de « services » de prostitution.

Sur base de ces faits, le travailleur B a été licencié pour motif grave.

Le Tribunal du travail a, par jugement du 24 octobre 2005, débouté le travailleur B. Il a entre autres écarté les moyens et arguments du travailleur B relatifs à la prétendue violation de la vie privée et au caractère illicite de la preuve des faits litigieux. Il a, à ce propos, considéré qu'il n'y avait pas eu ingérence dans la vie privée du travailleur dès lors que l'employeur a pris connaissance de manière tout à fait fortuite, au cours d'un contrôle de routine parfaitement justifié, de la présence de fichiers suspects et d'un très grand nombre de photos stockées.

La Cour du travail de Bruxelles a considéré qu'il n'apparaît pas que le travailleur puisse se prévaloir du fait que le système de sauvegarde a été institué à l'insu du personnel de l’entreprise.

Il est en effet institué afin, d'une part de pouvoir conserver en lieu sûr les données et fichiers, à caractère professionnel, de chaque employé, dans l'hypothèse où l'ordinateur portable serait endommagé, rendu inutilisable ou volé et, d'autre part, de pouvoir utiliser ces données professionnelles en cas d'absence ou de départ de l'employé de la société.

En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles l’employeur a eu accès aux données litigieuses, pour la Cour du travail de Bruxelles, c'est bien de manière tout à fait fortuite que l’employeur a été amené à prendre connaissance de fichiers qui se trouvaient sur l'ordinateur portable en question.

Dans les faits de la cause, la Cour écarte par ailleurs l’application des articles 314 bis du Code pénal et 109 ter D de la loi du 19 mars 1991, ainsi que celle de la CCT n° 81. Pour la Cour, cette dernière ne s'applique en effet pas lorsque l'employeur a pris connaissance de façon involontaire, de données, et particulièrement lorsque ces données sont présumées avoir un caractère professionnel.

Cour du travail de Bruxelles, 3 mai 2006

Dans une autre affaire qui lui fut soumise, la Cour du travail de Bruxelles a également décidé qu'était illégale la preuve d'un prétendu motif grave (un acte de concurrence déloyale) obtenue par la production d’e-mails et de documents à caractère personnel stockés par le travailleur sur l'ordinateur mis à sa disposition par la société. La Cour argumenta sa décision par le fait que l'employeur avait procédé à l'examen de l'ordinateur à l'insu du travailleur et qu'il n'avait pas précisé les circonstances et le but du "contrôle de routine " auquel il avait procédé. La Cour a estimé que les aveux obtenus par la production de pièces illicites ne pouvaient par ailleurs pas non plus être retenus.

Cour du travail de Bruxelles, 8 avril 2003

Un employé qui avait passé plus de 70 heures à surfer sur des sites internet n’ayant aucun lien avec son activité professionnelle (sites boursiers, de tourisme, gastronomiques) et ce, dans un laps de temps de 17 jours, a été licencié pour motif grave, vu son absentéisme virtuel d’environ 4 heures par jour.

Saisie de la question, la Cour du travail a estimé que le licenciement pour motif grave n’était pas fondé.

En effet, selon la Cour, attribuer à une personne en particulier la consultation de certains sites n’est autorisé que si le travailleur a été correctement averti de la possibilité de contrôle de son comportement internet et pourvu que les exigences de pertinence et de proportionnalité soient respectées. Cette condition n’ayant, en l’espèce, pas été respectée, les données récoltées ne pouvaient être utilisées afin de justifier le motif grave du licenciement.

Conclusion

En conclusion, bien que la jurisprudence soit relativement disparate sur cette question délicate du contrôle par l’employeur de l’utilisation par ses travailleurs des outils électroniques mis à leur disposition, on constate que la plupart du temps, les juges vérifient le respect par l’employeur des principes repris dans la CCT n° 81 avant de décider si l’employeur est en droit d’invoquer en justice tel ou tel mail de son travailleur.

Par ailleurs, les juges font souvent une mise en balance entre la gravité des faits commis par le travailleur et l’irrégularité commise par l’employeur.

Enfin, même si l’on considère les arrêts de la Cour du travail de Bruxelles du 7 février 2013 et du 12 juin 2015, une preuve illégalement obtenue n’est plus nécessairement écartée.

 

[1] Non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance) de la Convention européenne des droits de l’homme.

[2] Cr.E.D.H., 16 décembre 1992, Niemletz, § 29, R.T.D.H., 1993n p. 467 et obs. P. Lambert et F. Rigaux.

[3] Cr.E.D.H, 25 septembre 2001, P.G. et J.H., § 56.

[4] Cr.E.D.H., 25 juin 1997, Halford, § 45 ; Cr.E.D.H., 26 juillet 2007, Peev, § 39 ; Cr.E.D.H., 3 avril 2007, Copland, § 42 ; Cr.E.D.H., 17 juillet 2003, Perry, §§ 37 à 42 ; Cr.E.D.H., 25 septembre 2001, P.G. et J.H., § 57 ; Cr.E.D.H., 24 septembre 2009, Von Hannover, § 51 ; Voy. Aussi, Cass., 9 septembre 2008, n°P.08.0276.N, juridat, avec les concl. De l’av. gén. Timperman ; F. Kéfer et S. Cornélis, «L’arrêt Copland ou l’espérance légitime du travailleur quant au caractère privé de ses communications», R.T.D.H., 2009, p. 770 ; F. Raepsaet, «Les attentes raisonnables en matière de vie privée», J.T.T., 2011, p. 145.

[5] Voy. les arrêts de la Cour de cassation de France cités par R. Robert et K. Rosier, op. cit., p. 344.

[6] C. trav. Liège (sect. Namur), 11 janvier 2007, R.G. : 8.038/2006, juridat : «Sauf s’il s’agit de courrier privé, ce qui n’est pas le cas en espèce, un document personnel, tel qu’un tableau des revenus et des charges du ménage, enregistré sur le disque dur de l’ordinateur de l’appelante peut par contre être produit par l’employeur qui en prend connaissance sur l’ordinateur mis à disposition de l’employée. La production d’un tel document ne viole pas le droit au respect de la vie privée. En l’enregistrant sur le disque dur de l’ordinateur appartenant à l’entreprise, l’intimée a pris le risque de le voir porter à la connaissance de toute personne appelée à se servir de cet ordinateur qui ne lui appartient pas.» ; C. trav. Liège, 20 septembre 2010, R.G. : 2007/AL/39.907 : «La société appelante n’a nullement enfreint ce respect en prenant connaissance, au départ du disque dur d’un ordinateur lui appartenant, de documents consultables sans code d’accès, qui n’étaient signalés d’aucune manière comme personnels aux deux intéressées. Ces documents peuvent en outre être produits puisque leur contenu ne relevait pas de leur vie privée, familiale et extra-professionnelle, c’est-à-dire entièrement étrangère à leur contrat de travail, présentant au contraire un lien avec l’exécution des obligations nées de ce contrat».

[7] Voyez par exemple les arrêts du 2 mars 2005 (surveillance pas caméra) et du 10 mars 2008 (chômage). La Cour du travail de Bruxelles (dans un arrêt du 15 juin 2006) et Cour du travail de Liège (dans un arrêt du 6 mars 2007) sont néanmoins restées prudentes et n'ont pas suivi ce raisonnement.

[8] Le travailleur n'a pas consulté de sites contraires aux "bonnes mœurs" mais l'usage privé qu'il a fait de l'internet pendant les heures de travail était manifestement abusif.

 

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